mardi, juillet 06, 2004

Tao t'es truie

Je suis perdu. La truie m'a happé. M'a-t-elle toujours tenu pour que je ne m'en rende compte qu'aujourd'hui? Aucune réponse possible; il n'y a que le réversible. Je suis dehors, et il me regarde, au chaud, à travers la fenêtre. Je mange et il se lève, léger. Je m'amuse et il m'interrompt, les larmes aux yeux. Je suis seul et il baise ma copine. La séparation est souvent douloureuse, alors je me laisse aller. Il me roule en lui et je suis bien. Mais je ne le sais jamais vraiment; c'est seulement quand je le vois voler au-dessus des problèmes que je me dis: "avec lui, je suis complet". Son existence signifie la douleur, sa non-existence la mort. Car enfin, je ne me rappelle plus avoir été sans lui. Il est l'observateur par qui passe ma mémoire, le gardien de mes secrets. Et un piètre gardien; il me souffle régulièrement les pensées des gens que je rencontre et je sais par le fait même qu'il me trahi. Il est vrai que la plupart des gens ne le voit que par très brefs instants; quelques éclairs de lucidité dans toute une vie à un rythme toujours de plus en plus lent. Moi même, je n'échappe pas à ce triste état de fait, et s'il en est un, mon avantage est assurément très limité; sa présence m'obsède et tout le reste est fade en comparaison, pour ne pas dire totalement insignifiant. En découle une apathie pour les jours ensolleillés, une ataraxie dans les tempêtes; et la truie change les étoiles en grains d'espoir, perdus dans l'immensité de la grande tristesse. Pourquoi se soucier de son bien-être quand ce souci lui-même conduit à sa perte? Comment prendre soin de soi sans y être attaché? L'éternité existe pour être détruite; croyez-moi, Dieu s'ennuie royalement quand il se retrouve seul. C'est pourquoi il se meurtri, ses enfants avec lui. Il ne peut mourir et pourtant il passe sa vie à essayer de le faire. Dieu lui-même ne peut contenir le réversible. Et c'est là l'erreur de bien des gens: s'imaginer LE réversible dans son bol. Le bol est fait de la matière même du réversible et ce qu'il contient n'est qu'une version réduite, imparfaite et très débilitante de la truie cosmique. S'attacher à son bol, c'est créer sa propre mortalité. Eventuellement, ça se met à puer, on se débat, le bol fèle et le réversible remet tout à zero. Mon nom, mes désirs, mes souvenirs, tous des résidus de truie séchée, figés dans l'attente de leur propre mort. Et mon mini-réversible se débat, me souffle des idées d'immortalité, de victoire sur la matière. "CONSTRUIT UN BOL QUI TRAVERSERA LES AGES" me dit-il. Et pour quoi faire? Je vois bien le seul choix possible: Foncer, tout donner pour ce graal innaccessible. Il n'y a ni espoir, ni déception, ni joie, ni peine, ni effort, ni paix... seulement le réversible.